27.4.08

Don Sebesky - The Distant Galaxy



Tromboniste de talent, Don Sebesky a aussi fait des merveilles en tant qu'arrangeur pour d'autres musiciens de jazz, créant de belles enluminures entre cuivres et cordes, que l'on entend notamment dans From the Hot Afternoon de Paul Desmond (chroniqué dans ce blog) ou l'album Bumpin' de Wes Montgomery.
The Distant Galaxy est un maillon mineur dans la chaîne d'albums qu'il a créés ou auxquels il a participé - si l'on en juge par l'extrait biographique anglais ci-dessous. Ce disque est un melting-pot de standards (Lady Madonna, The Blue Scimitar) en version lounge, par endroits groovy (Water Brother et Soul Lady), par endroits orientalisant (Mr Tambourine man, Sounds of Silence et un Guru-Vin plutôt réussi). Les morceaux sont entrecoupés de courts interludes électro-acoustiques, sacrifiant (tardivement) à la mode space-age, et histoire de justifier le concept intergalactique de l'album - mais ces transitions apparaissent assez incongrues. The Distant Galaxy vaut pour le sympathique mélange d'influences indiennes et de grooves bien ficelés.

Sebesky trained in trombone at the Manhattan School of Music. In his early career, he played with Kai Winding, Claude Thornhill, Tommy Dorsey, Warren Covington, Maynard Ferguson, and Stan Kenton.[1] In 1960 he began devoting himself primarily to arranging and conducting; one of his best-known arrangements was for Wes Montgomery's 1965 album Bumpin'. Other credits include George Benson's The Shape of Things to Come, Paul Desmond's From the Hot Afternoon, and Freddie Hubbard's First Light. His 1973 release, Giant Box, hit #16 on the U.S. Billboard Jazz Albums chart.[2] He won three Grammy awards in the 1990s: Best Instrumental Arrangement for "Waltz for Debby" (1998) and "Chelsea Bridge" (1999), and Best Instrumental Composition for "Joyful Noise Suite" (1999).[3] Sebesky has also written a book, The Contemporary Arranger (1975).

Edward John Trelawney - Mémoires d'un gentilhomme corsaire



On comprend assez aisément que les aventures de Trelawney aient été mises en images pour la BD (Alfonso Font et Richard Marazano pour Pif Gadget) : les 400 pages de ces Mémoires condensent une incroyable saga qui ne peut qu'exalter l'imaginaire et susciter l'identification des plus jeunes lecteurs. Je présume que les auteurs en ont expurgé les passages les plus cruels. Car Trelawney vit dans un XIXème siècle où l'Orient et l'Inde sont les contrées exotiques avec lesquelles l'Angleterre et la France entretiennent un commerce florissant - mais dans un environnement menacé par de nombreux dangers terrestres et maritimes : guerres, pirateries, pillages, invasions, esclavage....
Edward John Trelawny (ou Trelawney), né à Sompting, cadet d'une famille d'aristocrates ruinés, est l'enfant rebelle de l'inflexible Royal Navy, qu'il déserta à dix-sept ans, pour se faire contrebandier, pirate et sultan des mers. Tendu vers un seul but, un seul horizon : vivre libre, Trelawney ne recule devant rien ni personne. Sa rencontre avec De Ruyter, puissant commerçant hollandais, écumeur des mers dans l'Océan Indien, à l'occasion corsaire navigant sous pavillon français, pirate lorsqu'il croise une proie transportant des cargaisons à piller, fut déterminante. Il devient son second d'abord et son associé ensuite lorsqu'il est en mesure de commander son propre schooner. Marié à Zéla, une jeune arabe qu'il a sauvé de l'esclavage et qu"il installe à son bord, il sillonnera l'Océan Indien des îles Maurice et Bourbon (son port d'attache) jusqu'aux abords de la Malaisie et de la Chine, traquant les jonques pour piller "les nids d'alcyons" s'attaquant aux navires de la Cie des Indes (l'anglais est l'ennemi !), naufrageant ici..., se battant férocement contre des indigènes sauvages, ou bien encore, chassant le tigre dans des moments de loisirs.
Parfumé de poudre et de sang, animé d'une violence épique, ce récit tourmenté met en scène un personnage unique et profondément attachant.

17.4.08

Paddy McAloon - I Trawl the Megahertz


Il faut croire que la cécité inspire de grandes symphonies ambient. Après Simon Fisher Turner, dont l'oeuvre musicale culmine avec l'illustration sonore du film Blue (voir le post sur Derek Jarman), voici la merveille orchestrale (passée inaperçue) de PaddyMcAloon, chanteur et compositeur des défunts écossais Prefab Sprout. En 2003, affecté d'une maladie de la vue, il s'attache à son poste radio et tire de ses syntonisations aléatoires des bribes d'histoires dont il compose une fresque qui tient à la fois de la musique classique, des musiques nouvelles et des ambiances de jazz. Mais de tout cela Caroline Bodin parle beaucoup mieux que moi chez Fluctuat.net.
"Temporairement aveugle, retranché chez lui, il se raccroche au monde qui l'entoure en écoutant la radio. De cette expérience étrange est sorti un album unique, à mi-chemin entre le jazz, la musique contemporaine (on pense parfois à Gavin Bryars ou John Tavener) et certains courants musicaux vaguement assimilés au trip-hop dont font partie Craig Amstrong ou Alpha. Le premier morceau, I Trawl the Megahertz, est une entrée en matière qui se passe de commentaire. Plus de 20 minutes, voilà la durée de cette plage à la fois répétitive et envoûtante. Une actrice récite, d'une voix quasi monocorde, les phrases lapidaires de la solitude ordinaire que McAloon a recueillit sur les ondes, des bribes de poésie involontaire qu'il a merveilleusement su mettre en valeur. Les cordes glissent et l'on retient son souffle pour écouter, hypnotisé par ce journal intime musical, série de rencontres faîtes à tâtons, frôlements imperceptibles d'existences froissées qui se répètent, encore et encore : « I'm telling myself the story of my life…happiness is only an habit…forgive me, I'm sleepwalking »…

Le talent du compositeur surprend, l'énigme personnelle prolonge l'écoute et l'album, entièrement basé sur le principe de la musique répétitive, se révèle être une expérience fascinante, et presque muette, si l'on exclut le monologue de la comédienne. Une fois, une seule, Paddy McAloon chante, sur le magnifique et crépusculaire Sleeping Rough qui annonce la fin de l'album. On mesure alors la somme de ses angoisses, l'étendue de sa peur face à la mort et au temps qui s'enfuit. Mais comme le faisait la Selma du film, c'est l'oreille tendue et les yeux tournés vers le ciel que l'homme continue son chemin, vers la lumière."


To many Prefab Sprout is Paddy McAloon; the driving force, songwriter, guitarist and predominant singer in the band. But 'I Trawl The MEGAHERTZ' is a first shift away from the band concept. Instead he uses an orchestra. This is an area McAloon has dabbled in before, resulting in the glorious 'Hey Manhattan!' and 'Nightingales' singles plus the sumptuous arrangements on 1997's 'Andromeda Heights' album. This time, however, McAloon's distinctive vocals feature only once and even then only briefly. Unquestionably the highlight of this first "solo" album is the title track; a sprawling Debussy-inspired classical piece, laden with gorgeous string arrangements and topped off with narration from the hitherto unknown Yvonne Connors. The words are based on radio talk shows which became something of an enforced hobby for McAloon whilst he underwent eye surgery; his reading and writing obviously hindered to a large extent. Connors delivers the lines so well that when phrases like "Your Daddy loves you very much; he just doesn't want to live with us anymore" are spoken - set against a wash of supreme arrangement - the effect is genuinely heartbreaking. It's no surprise, therefore, that the remaining eight - considerably shorter - tracks have no way near the same effect. Granted, 'Espirit De Corps' maintains a wonderful almost-Disneyesque feel but pieces like 'We Were Poor...' and 'Fall From Grace' keep a seamless flow together but pass by pleasantly and '49' is a polite imitation of the lead-off track. For 20 blissful minutes though, McAloon is inspired.

13.4.08

Erwin Wurm - Misconceivable





J'avais apprécié (puis oublié) l'humour de la "fat car" il y a quelques années, je redécouvre il y a peu d'autres créations d'Erwin Wurm... Chapeau bas !. Cet artiste autrichien, né en 1954, a trouvé en partie son inspiration dans le surréalisme mais surtout dans le courant Fluxus ; avec cette démarche qui consiste à chercher l’art dans le mouvement même de la vie. Une des plus belles déclinaisons en est à mon sens sa relecture improbable de quelques moyens de locomotion. De là naît un nouvel univers, où les objets seraient souples, vivant de leur propre vie, un univers plus proche du dessin animé que du réel. La rigidité industrielle des véhicules s'amollit. Ici elle se gonfle (la voiture obèse, une Christine surgavée, métaphore géniale de l'opulence occidentale), là elle s'incurve (le van VW qui tourne en rond - métaphore frappante de la répétitivité de nos déplacements ; le bateau prêt à plonger dans l'estuaire fluvial de Saint-Nazaire). Enfin le camion, roues tendues au mur comme un transformer prêt à bondir de ses starting blocks.
Au-delà de l'incongru, ce qui force l'admiration dans ces oeuvres c'est l'ingéniosité et le mystère des techniques investies par l'artiste pour obtenir ces formes contre "nature" - ou plutôt contre-fonctionnelles, puisqu'elles viennent contrarier les lois de la locomotion.

12.4.08

Jacaszek - Treny


L'album Treny, de Michal Jacaszek et de son groupe est une des plus jolies choses qui soient arrivées à l'ambient en ce premier semestre 2008. Ce compositeur polonais travaille essentiellement une base acoustique et vocale, tissant une ambient précieuse, néoclassique, où l'on trouve, dans une narration subtile et parfaitement ordonnancée, des chants quasi liturgiques émanant de temples lointains, de la harpe, des violons et violoncelles joués par Jacaszek lui-même et ses comparses : Maja Sieminska, Anja Smiszek-Wesolowska, avec des arrangements de cordes impeccables de Stefan Wesolowski. Pas de samples, juste une riche matière acoustique que Jacaszek retravaille en y ajoutant de fines granulations électroniques, créant une tonalité d'ensemble à la fois mélancolique, minimale et majestueuse. Les commentaires dithyrambiques que l'on trouve à son endroit sur de nombreux sites ne sont pas volés.




JACASZEK - author and producer of electroacoustic music, combinig electronically prepared sounds with acoustic instruments. "My music is an ambitious plan: I want to create my own, personal and recognizable musical language, in which electronic manipulation of recorded sound is going to enrich traditional acoustic instruments. The motivation of these experiments is discovering the hidden and universal beauty. DISCOGRAPHY/PROJECTS Jacaszek/Milka , "MAPA". (OFFMUSIC Rec 2001) Jacaszek "LEM konzept" Jacaszek "Lo-Fi Stories " (GUSSTAFF REC.2004) Jacaszek/Milka "SEQUEL" (GUSSTAFF Rec 2006). Wesolowski/Jacaszek "Kompleta" 2006 Jacaszek "TRENY" (MIASMAH/GUSSTAFF 2008) Boomkat review: Marsen Jules, Arvo Part, Zbigniew Preisner’s soundtrack work for Krzysztof Kieslowski, Deaf Center, Max Richter, Erik Satie, Alberto Iglesias - if you are familiar and in awe of any or all of these names then this latest album on the exceptional Miasmah label will no doubt end up on your essential listening pile for the foreseeable future. Jacaszek has managed with "Treny" to assemble an album so heart-stoppingly beautiful and personal that we’ve been stunned into silence for its entire 55 minute duration. With string arrangements provided courtesy of Stefan Wesolowski, the foundations of the album are set with Cello and Violin painting fragile outlines coloured by subtle electronic manipulations, harp, piano and reduced, haunting operatic voices. Unlike so many of his contemporaries, Michael Jacaszek doesn’t make use of any samples, with everything on the album assembled by the musicians on hand (notably Maja Sieminska, Anja Smiszek-Wesolowska and Wesolowski and Jcaszek themselves) - and the subtle grandeur of the album is almost impossible to take in over one sitting, even if the impact is absolutely immediate. This is the kind of album that you just cannot believe a bijou imprint like Miasmah is able to lay its hands on - such is the scale of its success that it feels like a hugely important piece of work, far outweighing almost anything else we’ve heard in the modern classical field these last eighteen months. Cinematic without ever feeling contrived, "Treny" is surely one of the most impressive, mystical and astonishing albums of the year.

Nick Bantock - Faux Mail & Dubious Documents

Compte tenu de pratiques épistolaires qui régressent, le mail art m'apparaît comme d'autant plus attachant. Ecrire et décorer sa lettre, soigner le contenant autant que le contenu, voilà une approche qui rappelle l'art que déploient les japonais pour emballer leurs cadeaux. J'avais prévu initialement de présenter de véritables oeuvres de mail art, c'est-à-dire envoyées par la poste.
En tombant sur les lettres de Nick Bantock, merveilles surgies d'un vieux sac de poste perdu au fond d'une gare orientale, sorte de faux mail art et vrai collage, je trouve la démarche intéressante. En définitive qu'importe le voyage réel ou pas de la lettre, la profusion des tampons fait illusion et sert de laisser-passer vers le rêve, les cartes et les portulans, les contrées sépia d'un exotique XXème siècle : le voyage est sur l'enveloppe.








The technique involved in making Nick Bantock's original Mail Art is far from predictable. Using a variety of paper ephemera, postcards, letters, etchings, bank notes and old legal documents as a starting point; he begins a process of embellishment, tampering and historical mischief. Adding mysterious markings, stamps, cancels, petroglyphs, handlettering, drawings and rubber stampings to the already heady mix, he incites a fascinating world that never quite was--but almost might have been.

10.4.08

Mganga ! The primitive sounds of Tak Shindo


Je vous parlais la semaine dernière des statues africaines, du sorcier, le nganga, spécialiste des rituels d'agression ou de protection. Ce n'était pas de la blague. La preuve ! Le voici derrière un beau masque coloré, transposé en Mganga !, sous les arrangements luxuriants et les instruments (venus du monde entier) du maître japonais Tak Shindo. La pochette en clair obscur est censée insuffler le mystère de l'envoûtement de ces "primitifs", lointains ancêtres des afro-américains que la société WASP des années 50 ignore et discrimine encore. Face à ces diableries païennes, on imagine que la ménagère frissonne, un peu comme dans la pochette de Tabù (voir plus bas), où le regard embrumé de la sophisticated lady en dit long sur le fantasme d'être mangée toute crue. Je digresse. Donc Mganga, ce n'est pas un enregistrement de musiques traditionnelles de chez Ocora (vous l'aurez compris), mais un bon cru d'exotica, un joli vin de palme filtré, qui a le mérite de ne pas présenter d'énièmes ré-interprétations de standards. Cliquez sur le titre pour accéder au lien, chez Xtabays World (Merci).

8.4.08

Notre besoin de consolation

Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie ne soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n’ai reçu en héritage ni dieu ni point fixe sur la terre d’où je puisse attirer l’attention d’un dieu. On ne m’a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de sioux du rationaliste ou la candeur ardente de l’athée. Je n’ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m’inspirent que le doute, ni à celui qui cultive son doute comme si celui-ci n’était pas, lui aussi, entouré de ténèbres. Cette pierre m’atteindrait moi-même car je suis bien certain d’une chose : le besoin de consolation que connaît l’être humain est impossible à rassasier.

En ce qui me concerne, je traque la consolation comme le chasseur traque le gibier. Une fois de temps en temps une proie tombe à mes pieds. Qu’ai-je alors entre mes bras ?

Puisque je suis solitaire : une femme aimée ou un compagnon de voyage malheureux. Puisque je suis poète : un arc de mots que je ressens de la joie et de l’effroi à bander. Puisque je suis prisonnier : un aperçu soudain de la liberté. Puisque je suis menacé par la mort : un animal vivant et bien chaud, un cœur qui bat de façon sarcastique. Puisque je suis menacé par la mer : un récif de granit bien dur.

Mais il y a aussi des consolations qui viennent à moi sans y être conviées et qui remplissent ma chambre de chuchotements odieux. Je suis ton plaisir – aime-les tous ! Je suis ton talent – fais-en aussi mauvais usage que de toi-même ! Je suis ta solitude – méprise les hommes ! Je suis ton désir de jouissance – seuls vivent les gourmets ! Je suis ton aspiration à la mort – alors tranche !

Le fil du rasoir est bien étroit. Je vois ma vie menacée entre deux périls : d’un côté par les bouches avides de la gourmandise, de l’autre par l’amertume de l’avarice qui se nourrit d’elle-même. Mais je tiens à refuser de choisir entre l’orgie et l’ascèse, même si je dois pour cela subir le supplice du grill de mes désirs. Pour moi, il ne suffit pas de savoir que, puisque nous ne sommes pas libres de nos actes, tout est excusable. Ce que je cherche, ce n’est pas une excuse à ma vie mais exactement le contraire d’une excuse : le pardon. L’idée me vient finalement que toute consolation ne prenant pas en compte ma liberté est trompeuse, qu’elle n’est que l’image réfléchie de mon désespoir.

En effet, lorsque mon désespoir me dit : Perds confiance, car chaque jour n’est qu’une trêve entre deux nuits, la fausse consolation me crie : Espère, car chaque nuit n’est qu’une trêve entre deux jours.

Personne ne peut énumérer tous les cas où la consolation est une nécessité. Personne ne sait quand tombera le crépuscule, et la vie (…) est un voyage imprévisible entre des lieux qui n’existent pas. Que devient alors le temps, si ce n’est une consolation pour le fait que rien de ce qui est humain ne dure. Que devient alors le sentiment humain de sécurité, si ce n’est une consolation pour le fait que la mort est ce qu’il y a de plus proche de la vie.

Je peux voir la liberté incarnée dans un animal qui traverse rapidement une clairière et entendre une voix qui chuchote : vis simplement, prends ce que tu désires et n’aie pas peur des lois ! Mais qu’est-ce que ce bon conseil si ce n’est une consolation pour le fait que la liberté n’existe pas.

Je ne possède pas de philosophie dans laquelle je puisse me mouvoir comme un poisson dans l’eau ou l’oiseau dans le ciel. Tout ce que je possède est un duel, et ce duel se livre à chaque minute de ma vie entre les fausses consolations, qui ne font qu’accroître mon impuissance et rendre plus profond mon désespoir, et les vraies, qui me mènent vers une libération temporaire. Il n’existe pour moi qu’une seule consolation qui soit réelle, celle qui me dit que je suis un homme libre, un individu inviolable, un être souverain à l’intérieur de ses limites.

Mais la liberté commence par l’esclavage et la souveraineté par la dépendance, le signe le plus certain de ma servitude est ma peur de vivre. Le signe définitif de ma liberté est le fait que ma peur laisse la place à la joie tranquille de l’indépendance.

Mon plus grand plaisir est de sentir que tout ce que je valais résidait dans ce que je crois avoir perdu : la capacité de créer de la beauté à partir de mon désespoir, de mon dégoût et de mes faiblesses. Et il me semble comprendre que le suicide est la seule preuve de la liberté humaine.

Mais, venant d’une direction que je ne soupçonne pas encore, voici que s’approche le miracle de la libération. En quoi consiste donc ce miracle ? Tout simplement dans la découverte soudaine que personne, aucune puissance, aucun être humain, n’a le droit d’énoncer envers moi des exigences telles que mon désir de vivre vienne à s’étioler. Car si ce désir n’existe pas qu’est-ce qui peut alors exister ?

Puisque je suis au bord de la mer, je peux apprendre de la mer. Personne n’a le droit d’exiger de la mer qu’elle porte tous les bateaux, ou du vent qu’il gonfle perpétuellement toutes les voiles. De même, personne n’a le droit d’exiger de moi que ma vie consiste à être prisonnier de certaines fonctions.

Pour moi, ce n’est pas le devoir avant tout mais la vie avant tout. Tout comme les autres hommes, je dois avoir droit à des moments où je puisse faire un pas de côté et sentir que je ne suis pas seulement une partie de cette masse que l’on nomme la population du globe, mais aussi une unité autonome. Ce n’est qu’en un tel instant que je peux être libre vis-à-vis de tous les faits de la vie qui, auparavant, ont causé mon désespoir.

Mais tout ce qui m’arrive d’important, et qui donne à ma vie son merveilleux contenu : la rencontre avec un être aimé, une caresse sur la peau, une aide au moment critique, le spectacle du clair de lune, une promenade en mer à la voile, la joie que l’on donne à un enfant, le frisson devant la beauté, tout cela se déroule totalement en-dehors du temps.

Je soulève donc de mes épaules le fardeau du temps et par la même occasion celui des performances que l’on exige de moi. Ma vie n’est pas quelque chose que l’on doive mesurer. Ni le saut du cabri ni le lever du soleil ne sont des performances. Une vie humaine n’est pas non plus une performance, mais quelque chose qui grandit et cherche à atteindre la perfection.

Il est absurde de prétendre que l’homme soit fait pour autre chose que pour vivre. Certes, il approvisionne des machines et il écrit des livres, mais il pourrait tout aussi bien faire autre chose. L’important est qu’il fasse ce qu’il fait en toute liberté et en pleine conscience de ce que, comme tout autre détail de la création, il est une fin en soi.

Je peux même m’affranchir du pouvoir de la mort (…) je peux réduire à néant la menace qu’elle constitue en me dispensant d’accrocher ma vie à des points d’appui aussi précaires que le temps et la gloire.

Le moment arrivera où je devrai faire face aux organisateurs de l’oppression dont je suis victime. Ce que je serai alors contraint de reconnaître, c’est que l’homme a donné vie à des formes, qui du moins en apparence, sont plus fortes que lui. Si je veux vivre libre, il faut pour l’instant que je le fasse à l’intérieur de ces formes. Et mon pouvoir est redoutable tant que je puis opposer la force de mes mots à celle du monde, car celui qui construit des prisons s’exprime moins bien que celui qui bâtit la liberté.

Telle est ma seule consolation : plus qu’une consolation et plus grande qu’une philosophie, c’est-à-dire une raison de vivre.


Extraits de ‘Notre besoin de consolation est impossible à rassasier’ Stig Dagerman, 1952 – lu par Christian Olivier, chanteur, accordéoniste, concert des Têtes Raides, Bataclan Paris 28 mars 08

Notre besoin de consolation – Live
http://www.youtube.com/watch?v=cgSD1VzEgGI

Expulsez-moi
http://www.youtube.com/watch?v=xBOq12Bgydw&NR=1

Ginette
http://www.youtube.com/watch?v=LCCi_Dq1Cyc

6.4.08

Objets-force - Kongo


Au-delà de la beauté des pièces issues des arts et traditions ethniques, la symbolique des clous plantés dans les statues et fétiches de certaines ethnies africaines, qu'on retrouve dans les pratiques de vaudou ou de santeria cubaine, m'a toujours parue fascinante. La croyance populaire liée à la sorcellerie attribue à l'acte de planter clous et aiguilles dans une poupée vaudou une visée d'affaiblissement ou de mort de la personne symbolisée. C'est par son effet de violence et de perforation que le clou planté est communément associé à un acte agressif de nuisance. En réalité l'enfoncement de clous dans une statuette ou un fétiche est positif ou négatif selon que le contrat fixé avec le spécialiste du rituel est un contrat de protection ou d'agression.
On peut ainsi voir à droite un objet-force du Kongo, datant du XVIIIème siècle, en bois, clous, fer et tissu (collection Barbier-Mueller). Dans la tradition congolaise, les objets-force répondent aux demandes de ceux qui se sentent agressés par des esprits maléfiques. Les clous plantés dans le bois ont donc pour fonction de renforcer les pouvoirs de celui que la statue protège. Cette dernière sert ainsi à résoudre toute sorte de problèmes (maladie, stérilité, conflits…). Ce sont généralement des statues anthropomorphes de 15 à 30 cm de haut, possédant une cavité ventrale dans laquelle est placée la charge magique: le bilongo. La fermeture de ce receptacle marque la maîtrise des puissances invoquées. Le devin au cours d’une cérémonie place la charge et active les pouvoirs de la statue. Il est l'intercesseur entre la personne qui vient le consulter et le Nkisi. statue. Il « réveille » l’esprit du Nkisi en enfonçant dans la statue un objet métalique après l'avoir léché.
A ma gauche, c'est la même visée qui charge cette statue kondi du groupe Bakongo. Le sculpteur modèle une statue anthropomorphe. Dans le cas d'un nkisi kondi, la consécration et l'activation des pouvoirs de l'objet se font au moyen d'un rituel effectué par le nganga (spécialiste rituel) et où il introduit dans ou sur la statue les réceptacles contenant les substances magiques qui lui confèrent son pouvoir. Lors de son utilisation, la victime cherchant à se venger ou à se protéger lèche un clou et le nganga l'enfonce dans la figure. Pendant qu'il enfonce des clous et des lames dans le corps du nkondi et lui lance des injonctions, le ritualiste éveille l'esprit à l'intérieur, excite sa colère et l'incite ainsi à punir le malfaiteur.

3.4.08

The New Swing Sextet - Monkey See, Monkey Do


Combien de vieilles bandes magnétiques et de LP fabuleux sont encore menacés par les rongeurs, dans les coffres poussiéreux d'éditeurs aujourd'hui disparus ?. Si ce n'était l'excellent talent de dénicheur du label VampiSoul, ce serait le cas de ce combo new-yorkais de Latin jazz, formé à la moitié des années 60 et encore tout imprégné des vocalises swingantes des fifties. Cette compilation rassemble des titres perso et des interprétations de standard, gravés chez Cotique sur une vingtaine d'années et qui embrassent différents styles. Cela dit, tous les titres bénéficient d'un canevas de percus latines à faire flamber les dancefloors, qu'ils baignent dans un jus salsa (May Baby Couldnt Wait), un boogaloo rapide (Think Drink), des envolées vocales swingantes (Baby Get A Hold On My Heart) ou dans le jeu de vibraphone du leader Georges Rodriguez.

The New Swing Sextet are a Latin jazz combo from New York that formed in the mid 60s with members who still perform today. Monkey See, Monkey Do: Groovy Latin Swingers From Harlem's Best Combo - 1967 to 1971 is a Vampi Soul compilation which combines together recordings the group made in the late 60s/early 70s for the Cotique label.
They combine a Latin jazz feel like Cal Tjader with a vocal boogaloo sound that will have you shaking a tailfeather. As an added bonus, they are also joined on some numbers by the female singing trio called The Revue which fleshes out the vocal sound even more.
The group has a couple of originals which quote extensively from other songs but also has their own thing (lyrically and musically) added to the songs to make it their own. Up Tight quotes extensively from Stevie Wonder's song of the same name but also has an added New Swing Sextet section which really extends this song vocally and musically.