29.12.07

Serge Valletti - Jésus de Marseille suivi de Psychiatrie/Déconniatrie

Entrer dans l'univers narratif de Serge Valletti, c'est comme entrer dans un bar à Marseille et y retrouver une vieille connaissance, accoudée au zinc, un type chargé d'un bric-à-brac d'aventures vécues, qui n'attendaient que vous. Vous ne l'aviez pas revu depuis des années, vous êtes le dépositaire idéal. Alors il vous coule des histoires fabuleuses, souvent saugrenues, pour quoi vous ne vous lassez jamais de l'écouter, accroché que vous êtes à ses lèvres imprévisibles.

Pour faire court, "Jésus de Marseille", c'est rien moins que le Nouveau Testament revu et corrigé par Valletti, bien plus drôle que la Bible. On y trouve tous les personnages, à commencer par Jésus, le narrateur, omniscient (le fils de Dieu, donc), la mère, le menuisier, Melchieur, Dubazar, Satan.... On y trouve aussi tous les ingrédients stylistiques de la Bible : d'abord la parataxe (cette manière de juxtaposer des phrases sans les articuler, de vous laisser faire les liaisons, de remplir les vides). Et puis le narrateur, un expert en rhétorique. Un vrai camelot du récit, ce Jésus de Marseille, il vous en raconte dix pour le prix d'un.
Vous aurez donc droit à une resucée truculente des évangiles vus de Marseille, avec les véritables noms des lieux, des banlieues, des enseignes de l'époque, des marques, des personnes, de la cousine, des voyous, du docteur, du légendaire commissaire d'origine asiatique... Et même si vous n'avez pas connu tout ça, c'est tout le Marseille des années 40 à 80 qui revit sous vos yeux. Valletti c'est le roi de l'hypotypose, une maladie du talent descriptif.
Mais il n'est pas sage ni donneur de leçons d'amour, ce Jésus de Marseille. Il invective, amplifie, exagère, s'indigne parce que vous faites mine de ne pas toujours y croire. Il fait les questions, les réponses. Il répète, il insiste, il démontre, pour crédibiliser son histoire. Car il vous faut absolument le croire, y ajouter foi. Ce n'est pas pour rien qu'il s'appelle Jésus. Il y aurait bien, entre autres, une bonne leçon d'humanité, pour certains des cathos qui rêvent de voir les étrangers dehors : la famille qui cherchait un lieu pour se reposer et permettre à la mère de donner naissance au petit Jésus, c'était une famille d'étrangers :
"- S'il vous plaît, Madame, auriez-vous une chambre de vide ?
- Non, non, passez votre chemin, sales étrangers !
Parce qu'on était une famille d'étrangers.
C'est-à-dire qu'on connaissait personne.
Tous les gens qu'on connaissait, ils parlaient pas le français. Ils parlaient le vietnamien, l'indosuez, le pentagone."


Emphatique et picaresque, "Jésus de Marseille" fait rire, par tout un attirail d'expressions familières ("T'ies un encore moins qu'un rien du tout."), d'inversions (...Les rois mages, ils s'appelaient, c'est pour ça qu'ils ont fait une rue qui s'appelle comme ça....), de tournures provençales ou d'inventions savoureuses ("Il va se faire "crucifictier"...il peut pas se "re-susciter.") ; et ces particules explétives, les "te", ("...Et ils t'amenaient qui du chocolat, l'autre des médicaments, le troisième un guidon de vélo...") qui vous prennent à témoin et vous enchaînent progressivement au récit.
Avec Valletti, on l'aura compris, on est dans l'oralité pure, le parler des familles, la transmission des histoires ("...Mais ce que je raconte c'est parce qu'on me l'a raconté. Après. Y avait l'âne, le menuisier, maman et moi..."). On est toujours au bar, avec le camelot qui extravague, sauf qu'il y a maintenant un petit groupe qui écoute ; un qui parle, les autres qui boivent sa parole, ça ressemble un peu à l'évangile, beaucoup au théâtre. Car ces histoires il faut les entendre, avec l'accent, l'intonation, les exclamations. Allez à la messe de "Jésus de Marseille", ça fait un bien fou !

Sinon le livre, publié dans la collection Le théâtre de la Chamaille, chez l'Atalante, comporte également un texte intitulé Psychiatrie/Déconniatrie, dont j'ai le plaisir de reproduire - avec l'autorisation de l'auteur-, un passage saisissant de vérité : une petite parabole sur la consommation. Cliquez sur la page pour l'agrandir.


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Alors là merci, oui ça fait un bien fou!!
Par un soir de petite déprime (début janvier), tomber sur Serge Valetti et ce Jésus de Marseille, sans compter cette délicieuse parabole sur la consommation, c'est du baume au coeur. Je vous dois une fière chandelle!

Martian Shaker a dit…

Merci à vous, Minie, de commenter toujours aussi généreusement les posts de Martian Shaker.