
BLUE
1993 / 78' / 35mm / coul. / son.
de Derek Jarman
voix : John Quentin, Nigel Terry, Derek Jarman et Tilda Swinton
Blue est le dernier film du réalisateur anglais Derek Jarman, décédé du Sida en 1994. Dans ce long métrage ("expérimental" a t-on dit, "parfaitement classique" à mon avis), le regard du spectateur plonge dans un unique plan bleu de 78 minutes, à l'écoute d'une bande sonore fabuleuse, rythmée par la voix du comédien principal John Quentin.
La voix dit le texte de Jarman, son expérience au quotidien face à la maladie et la cécité : Rencontre avec l'ophtalmologue dans la première séquence (en écoute ci-dessous) ; cortège des amis disparus ; avatars des analyses médicales ; lecture de la liste des effets secondaires des médicaments. Car le récit de Jarman n'est pas dénué d'humour, lorsqu'il compare sa pupille ravagée à une planète ; et l'ophtalmologue de corriger "...à une pizza".
La cécité fait de son champ visuel une plage bleu Klein, et ce bleu fixé durant 78 mn devient l'hypnotique exhausteur de l'ambiance sonore du film. Ce qui crée une situation à la fois empathique (le regard rivé à l'écran rend le spectateur également aveugle aux autres couleurs, formes et images) et synesthésique. Grâce au talent du compositeur Simon Fisher Turner, qui file un ensemble de sons environnementaux (illustrant les expériences de Jarman) avec un écheveau d'extraits classiques et ambient, empruntés à Brian Eno, Miranda Sex Garden, John Balance, Momus, Vini Reilly, les Gnossiennes de Satie... et d'autres, avec lesquels il compose une sublîme tapisserie auditive.
Et ce n'est pas la moindre réussite de Jarman d'avoir transfiguré son calvaire en une épure qui touche au mysticisme. Le récit se mue progressivement en élégie ; c'est le ravissement du bleu profond, paisible, annonciateur des grands fonds marins, où l'âme gagne le paradis. "La couleur bleue représente l'amour universel dans lequel baigne l'humanité - c'est le paradis terrestre." Derek Jarman.
Le texte du film Blue, en anglais
6 commentaires:
Un film magnifique et absolument mesmérisant, un projet poétique plein d'ironie proche de l'univers de Ken Nordine.
Et comment ne pas aussi penser à Yves Klein, au dernier travail de ce peintre sur le rouge, l'or, le bleu, alliances d'éternité dans la peinture du Fran Angelico.
Pour une autre pathologie, de substitution à la déshérence du corps.
Ken Nordine... ma fois je n'y avais pas pensé ; peut-être pour la voix, profonde, le jeu de bruitages et d'effets sonores de ses émissions radiophoniques. Mais je ne sache pas que Nordine ait posé sa voix sur des situations autobiographiques aussi douloureuses que celle qui frappe Jarman. Nordine me semblait davantage dans le décalage et surtout dans la fantaisie verbale, sur fond de jazz... ce qui nous place quand même assez loin de l'esprit de Blue.
J'ai écouté la bande-son tout en (re) feuilletant "Un dernier jardin", l'histoire de son "prospect cottage" (le "jardin de son sursis") à Dungeness, à 1ère vue rien à voir... et pourtant tout concorde, aucune fausse note, on est bien dans le même univers. C'est bien tout ce qu'il me manquait pour apprécier encore d'avantage ce merveilleux livre.
"Je traverse à tâtons le jour de ta passion. T'es-tu imaginé un jour que le soleil ne se lèverait plus?... On oubliera jusqu'à nos noms, nul ne se rappelera notre œuvre. Notre vie s'effacera comme la trace d'un nuage..." écrit-il à l'annonce de la mort d'Howard Brookner. Mais à Dungueness la mer n'efface pas les traces, le Ness n'est fait que de galets qui luisent sous la pluie "comme des perles de lumière à la Vermeer".
Quelle émotion!
Je ne connaissais pas "Un dernier jardin". Je suppose qu'il s'agit d'un des derniers textes de Jarman ; à découvrir, donc...
Et merci par ailleurs pour vos commentaires généreux, minie !
Ce livre retrace l'histoire du jardin créé par D.Jarman dans le Kent, Prospect Cottage qu'il acheta en 86 alors qu'il se savait malade du Sida.
Je ne sais pas si ce sont exactement ses derniers textes (entre récits et poèmes en prose), l'ouvrage a été publié en 2003, soit presque 10 ans après sa mort.
Les magnifiques photographies sont d'Howard Sooley (page 78 Jarman sur son trône de mer est d'une beauté sculpturale!) et je suppose que c'est à lui qu'on doit la publication de ce livre particulièrement émouvant qui ressemble à un carnet de (dernier) de voyage...
je poste dans les prochains jours la version française de la BO du film !
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