14.10.07
Adam Jacot de Boinod - Tingo, drôles de mots, drôles de mondes
Le livre d'Adam Jacot de Boinod, The Meaning of Tingo, publié chez Penguin Books en 2005 a fait couler beaucoup d'encre et son succès lui a valu rapidement une traduction française en 2007. Je ne l'ai pas encore lu, néanmoins la première impression que m'on faites plusieurs recensions de l'ouvrage est que l'on survole toutes sortes de curiosités lexicales mais que l'on s'interroge peu sur l'étymologie, la construction des mots et en quoi ils relèvent d'une sémiologie, c'est-à-dire, si l'on reprend les termes du linguiste genevois Ferdinand de Saussure, d'une "science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale".
Je réserve ma dernière opinion sur l'ouvrage en question, à savoir s'il donne un début d'explication du pourquoi social de ces formes linguistiques. Autrement dit, ce qui m'intéresserait, c'est moins le fait que les Albanais aient vingt-sept vocables pour désigner une moustache (et d'en connaître les 27 variétés) que de savoir pourquoi et comment dans cette langue en particulier et chez ce peuple, la productivité lexicale autour du système pileux masculin a pu s'enrichir à ce point.
Passionnant en apparence aussi le phénomène d'économie verbale qui permet dans certaines langues d'exprimer d'un seul mot une action ou une description complexe. Ainsi les japonais peuvent-ils qualifier de bakkushan "une femme terriblement séduisante de dos, mais laide une fois vue de face". Ou les Hongrois qui pratiquaient une danse appelée verbunkos, destinée à "persuader quelqu'un de s'engager dans l'armée". Bien sûr ces trouvailles peuvent faire sourire ; incroyable ?! Où va se nicher l'inventivité lexicale ?! Il me semble que ces deux "mots" révèlent respectivement la capacité de fantasme et d'ironie du mâle japonais et l'image d'une époque où l'enrôlement était socialement ritualisé chez les Hongrois. D'un point de vue strictement linguistique, j'ai voulu savoir si ces termes pouvaient se décomposer en unités de signification plus petites ou s'ils formaient une unité de signification insécable.
C'est donc en furetant sur le net que je découvre que bakkushan est un témoignage de la capacité d'emprunt du japonais aux langues étrangères, en l'espèce, emprunt à l'anglais et à l'allemand, par association de back (arrière) et de schön (beau) : bakkushan donnant à peu près "belle de dos". De même verbunkos est un emprunt à l'allemand werben qui signifie "s'engager dans l'armée"; verbunkos étant chez les Hongrois le "recruteur".
Mais tout cela est-il vraiment si curieux ? N'est-ce pas une distorsion de notre regard qui nous fait prendre des mots issus de cultures étrangères ou du passé pour des singularités à épater la galerie. Car il suffirait de renverser la perspective et de se mettre à la place d'un Peul (au hasard) pour trouver extraordinairement amusants ces occidentaux qui ont un mot pour désigner "un être qui vit et se reproduit en dehors de l'air, sans oxygène, grâce à des fermentations suppléant à la respiration"... les Français par exemple ont un mot pour ça : anaérobie. Sacrés Français ! Ils ont un mot pour désigner un "petit appartement dans lequel ils rencontrent leur maîtresse" : garçonnière ! Savoureux non ??
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