29.11.08

Marc Agapit - La nuit du minotaure


Les exhumateurs de récits fantastiques qui ont relancé le prix Nocturne ont mis en lice il y a deux ans ce livre méconnu, que j'ai trouvé sur ebay.
De son vrai nom Adrien Sobra, professeur d'anglais en France et en Algérie, Marc Agapit se consacre exclusivement à l'écriture à partir de 1949, pour la collection "Angoisse", au Fleuve noir (43 titres). La nuit du minotaure n'est pas le plus connu de ses romans dans cette collection : le net évoque fréquemment L'école des monstres, apparemment plus emblématique de l'univers de l'auteur, "noir et étouffant" lit-on dans certaine biographie. Mais celui-là n'est pas mal non plus, dans un style alerte et sans longueurs.
Le roman alterne deux récits, le monologue intérieur du Minotaure, et le récit du protagoniste, bon prof' d'histoire-géo partant en vacances le coeur léger à Barcelone, où il n'arrivera jamais. Daniel Broth, le protagoniste, fait la rencontre, dans le train, d'un couple étrange : en deuil, femme mystérieuse et attirante, mari torturé, qui descend du train et rate le départ de Paris, les rejoint à Perpignan. Chacun des deux conjoints prend à part notre témoin pour lui assurer que l'autre est fou. Ils vont à Perpignan, chacun convaincu de son côté, d'y aller pour faire soigner l'autre, dans la clinique du docteur Petit. Le mari y va en premier, mais le taxi s'égare et le mène tout droit à la porte d'un... labyrinthe. Le protagoniste impliqué dans l'aventure du couple accompagne la femme, le taxi les mène au même endroit. Le décor est campé, les personnages du drame antique sont là (Ariane, Thésée), progressivement pris au piège, comme si un fatum funeste les destinait à finir dans ce coin de terre bruissant, comme en Crète, du chant des cigales et de la mer Méditerranée.
Le monologue du Minotaure est bien écrit, qui construit une image impressionnante de la monstruosité, sous les traits à la fois du vampire (il dort d'un sommeil séculaire, sort de son antre la nuit pour capturer ses victimes), de l'ogre (il dévore la chair humaine), de la bête (une puissance taurine, une immobilité d'araignée dans son labyrinthe où viennent se prendre les visiteurs) et du prédateur charnel (le sexe est l'autre modalité de la chair qu'il violente).
Il y a un parfum de tragédie grecque dans La nuit du Minotaure, mêlé à une thématique plus moderne de la folie (le Dr Petit et sa clinique ne sont pas loin et participeront au récit). C'est un bon petit roman qui se lit d'une traite.

Depuis si longtemps que je dors, immobile, debout sur mon socle, au centre du labyrinthe, j'ai l'impression que mon corps tout entier s'est transformé en une statue de marbre. J'ai envoyé un effluve de volonté dans mes artères de pierre, et aussitôt le miracle s'est accompli. La matière dure s'est faite chair ; tous les organes rigides se sont amollis. Le sang a recommencé à circuler dans mes membres privés de vie. Mes yeux les premiers ont bougé. Ils ont jeté un regard avide sur les murs de la salle bâtie en rotonde. Je suis déçu : il n'y a pas une seule créature vivante dans ces lieux abandonnés. Mes oreilles se sont tendues pour percevoir le moindre bruit venant des couloirs : elles n'ont rien capté d'insolite. Je suis bien seul au centre de ce dédale, qui ressemble à une toile d'araignée disposée pour emprisonner mes victimes et les faire venir jusqu'à moi. Ma main droite s'est ankylosée, puis mon pied gauche. Un immense désir de bouger a fait frémir mes jambes, mes bras; et tout à coup, j'ai pu porter une jambe en avant et descendre du socle. Avec le mouvement, la faim est venue. Puisqu'aucune proie ne s'est fait prendre dans mon repaire, il faudra que j'aille la chercher au-dehors. Est-il l'heure de me mettre en chasse? J'ai marché vers la porte qui donne dans les couloirs. Je l'ai ouverte. Un rayon naissant a blessé mes yeux : le jour se lève. J'ai mal calculé mon heure pour m'éveiller. J'ai refermé la porte. J'ai tourné en rond dans la salle. De temps en temps, l'envie de manger me fait pousser une clameur féroce. Las de tourner en rond, je me suis replacé sur mon socle, pour attendre la nuit. Peu à peu, une torpeur maligne a paralysé de nouveau mes membres pétrifiés. Le sang s'est figé dans mes veines durcies. Mon corps tout entier a repris l'aspect d'une statue sculptée, lourde et massive. Seuls mes yeux, grands ouverts dans la pénombre, veillent, avec la fixité de ce qui est éternel.
(Début du roman)

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