19.11.07

Georges Picard - Le bar de l'insomnie

"Trois personnages, deux hommes, une femme, se retrouvent somnambuliquement, soir après soir, dans un bar. Soustraits à la routine immémoriale du rythme biologique, ils ne dorment plus. Ils sont passés du côté des fantômes, traversant les nuits sur le qui-vive et les jours au jugé. Charlie, le barman manipulateur, Erda, la maîtresse paradoxale d’un amant qui dort toujours, et le narrateur, errant pendant la journée dans Paris sous le coup d’une confusion mentale qui lui fait perdre jusqu’à son identité, forment, selon son expression, une sorte de « triade mythologique ».
L’Insomnie est ici la matrice d’un récit ironique où le narrateur partage une amitié muette avec un Vampire, des coups avec des passants et des propos désabusés avec ses compagnons de bar, dans l’attente d’une révélation sur le sens de cette veille perpétuelle." Résumé extrait du site de José Corti.

On a tout à gagner à la lecture d'un récit de Georges Picard, tout d'abord parce que cet auteur contemporain qui semble affectionner plus volontiers l'autobiographie, l'essai philosophique, nous fait rarement le plaisir d'un roman. Et très étrange en plus, ce roman, animé par les figures du songe et du fantastique, en littérature (le passage du grimoire) comme au grand écran (la séance de cinéma, Nosferatu).
Le postulat du récit est assez simple, et le narrateur l'expose dès les premières pages : l'insomnie modifie la perception du monde, crée “…une sorte d’irritabilité doublée d’une lucidité seconde grâce à laquelle je déchiffre rapidement des significations habituellement cachées aux gens qui dorment bien”. Voici notre héros dans un état second, où il devient le double de lui-même : “Tout concourait à me prouver que j’étais assis entre deux identités, position des plus inconfortables dont la moindre des conséquences est de vous empêcher de dormir. Je prononcai le mot : dédoublement”.
Mais cet état second n'est pas venu comme ça. Picard joue avec le souffle et le vent, car il y a des des bourrasques et des râles qui ne sont pas anodins dans cette histoire : un Nosferatu essoufflé, un barman à la voix asphyxiée. On étouffe en plus d'être insomniaque :
“Je respirai à fond, mais à chaque inspiration, je sentais comme une chute intérieure. On aurait dit que mes organes tombaient dans la cage thoracique.” Qu'on se souvienne du Ruah hébreu (le souffle de vie), du Pneuma des grecs ; à ce stade le narrateur est passé dans un autre monde, celui des ombres, du rêve et des morts, là où le Ruah n'a plus cours.
“Depuis le début de mes insomnies, j’étais extrêmement sensible au climat. plus encore que la pluie ou le soleil, c’était le vent qui me semblait de première importance, comme si son orientation et sa force influençaient l’état atmosphérique de mes pensées. Je me souvins de ce vent chaud, tout à fait inhabituel, qui s’était mis à souffler devant le cinéma (…) Nul doute que le vent était un acteur à part entière dans la théatralisation de mon insomnie”.
Je vous laisse découvrir les tribulations du narrateur - ses commentaires ironiques, ses remarques au vitriol - dans un monde privé d'air symbolique et vu dans un état de conscience modifié : juste notre monde, une société de moutons soi-disant éveillés.


Le Bar de l'insomnie, Georges Picard, José Corti, 224 pages.

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