22.4.07

Albert Sanchez Pinol - La peau froide


La quatrième de couverture annonce un succès éditorial en Espagne, un prix (Ojo Critica de Narrativa) en 2003, et une traduction en vingt langues. Généralement, ces références ne me suffisent pas pour me jeter aveuglément dans une lecture, et parler d'un ouvrage d'une telle notoriété constitue une nouvelle entorse au principe de Martian Shaker. Mais il se trouve que ce roman est fantastique, au sens du compliment et du genre littéraire. Ces deux qualités réunies méritent un traitement d'exception. D'autre part ce récit d'Albert Sanchez Pinol est excellement traduit par Marianne Millon, ce qui ne gâche rien au plaisir de la découverte du texte : on y trouve l'intensité des contes d'horreur lovecraftiens mêlée à la qualité d'écriture des Stevenson et autres grands auteurs de récits d'exploration et d'aventures d'une époque révolue. Celle de La peau froide est située à la fin du XIXème siècle ou au début du XXème, période d'activisme des Irlandais en quête de leur indépendance ; période où le narrateur, profondément écoeuré des luttes sanglantes auxquelles il a participé jusqu'au péril de sa vie, décide de s'installer pour une année - en tant que climatologue - dans cette île perdue de l'Atlantique sud. Là il découvre à ses dépens et dès la première nuit que l'îlot est envahi chaque soir (variation autour du thème du vampire) par des dizaines de créatures marines anthropomorphes qui assaillent sa fragile habitation. Pour seule compagnie humaine, un mystérieux voisin, gardien de phare, doté d'un grand corps de phoque entièrement poilu et subtilement dénommé Battis Caffo (bathyscaphe : comme si sa nature entière était d'être "submergé" chaque nuit par le flot de ces assauts monstrueux). Il devient son frère d'armes, "par la seule force de la mitraille, tant l'extravagante culture humaniste de l'un (le narrateur) le dispute au pragmatisme obtus de l'autre." Mais une sirène aux yeux d'opale, servant de domestique et d'exutoire sexuel, ébranle leur fraternité belliqueuse. Ce ne serait qu'un excellent récit fantastique si les choses en restaient là, et si la formation d'anthropologue de Sanchez Pinol, contaminant le discours du narrateur, ne venait jeter un doute sur le caractère monstrueux de cette horde sauvage. Avec un art consommé du suspense, Sanchez Pinol y dissèque la peur de l'autre, la violence de nos instincts, l'engrenage absurde et cruel de la guerre. Je vous laisse découvrir la suite, car La Peau Froide est un roman dont le flamboyant imaginaire gothique vous saisit à la gorge dès les premières lignes.

Albert Sanchez Pinol, La peau froide, Actes Sud Babel, 2006, 259 pp., accessible ici

In this grim, H.G. Wellsian fable, an unnamed European of unspecified nationality is hired to spend an unspecified mid-20th-century year logging wind conditions on a tiny Antarctic island. Anticipating solitude, the bookish young man soon discovers that he has a neighbor—the pathologically reclusive Gruner—and that each night, the island is overrun by humanoid killer amphibians. He and brutish Gruner—who has tamed a "toad" of his own—join forces, killing monsters by night and fornicating with Gruner's pet by day. Inspired by the creature's ability to laugh and cry—to say nothing of her perky breasts, knack for housework and wordless submissiveness—the narrator begins to think of the cold-blooded creatures as human. When he tries to befriend them and their children, his efforts pacify the humanoids, but not Gruner; the hopeful idyll ends when the older man launches a last suicidal effort to exterminate the "monsters." Gruner's death plunges our hero into a rut of battle, drunkenness and bestiality so complete that when his replacement arrives, he has become as feral as Gruner was before him. Sentence by elegant sentence, Piñol's first novel offers a tightly crafted allegory of human brutality both fascinating and repellent.

Albert Sanchez Pinol, Cold Skin, Farrar, Straus and Giroux, 2005, 192 pp., available here