30.6.08
Willie Henderson & The Soul Explosions - Funky Chicken
Très bonne cuvée de funk sur les brisées des J&B's, avec une section de cuivres et des percus bien pêchus, des voix excitées à la Bar-Kays, des choeurs de funkettes délurées qui jouent les répons à Willie Henderson (chanteur et arrangeur chicagoan), quelques titres préfigurant le disco naissant (Break Your Back, Dance Master) ; ajoutez à l'ensemble une bonne dose d'humour, des bruitages de bassse-cour pour l'éponyme Funky Chicken : Funky Chicken... En un mot : les seventies afro-américaines comme si vous y étiez.
A massively-expanded version of Willie Henderson's Funky Chicken album -- with some great bonus tracks! The original record is killer work from one of the funkiest leaders on the Chicago scene -- the force behind some of the city's greatest soul tracks and funky 45s to come out of the Windy City! The set stands like a stack of lost funky nuggets laid back to back -- with lots and lots of bass-heavy grooving from the band, and plenty of instrumental riffing on guitar and horns! Most tracks are instrumental, but often feature some nice shouted or spoken bits -- and the whole thing's stuffed to the rafters with great breaks, beats, and grooves! Titles include "Funky Chicken (parts 1 & 2)", "Off Into A Black Thing", "Soulful Football", "Sugar Sugar", "Can I Change My Mind", and "Is It Something You Got". Plus, this version expands past the original lineup, to include a 2 part previously unissued "Untitled Instrumental" and the singles "Break Your Back" and "Dance Master"! From DusrtyGroove
23.6.08
Lila Jang - Canapé grimpant
Quelques semaines après avoir publié un post sur Erwin Wurm et ses véhicules déformés - dont le camion "roues au mur", voici que je tombe, dans un magazine de décoration, sur ce très joli canapé de Lila Jang, jeune plasticienne à peine sortie de l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts.
Il faut se rendre à l'évidence que Lila Jang exploite exactement le même concept que Wurm (je ne sais qui des deux a eu le premier cette idée) - et je préfère même imaginer que la similarité est due au hasard, à la même intuition facétieuse d'un tropisme pour les parois. Ce tropisme affecte les équipements, les place sur le plan vertical qu'ils ne fréquentent jamais ; là où les objets font le mur pour passer dans une autre dimension, de l'autre côté du miroir, là où s'annulent l'inflexible rigidité des matériaux et les lois de la gravité. Le canapé se déhanche comme une guimauve, les pieds font le poirier... Ou alors est-ce que notre monde surchargé devient trop petit, au point que les objets doivent occuper un autre plan de l'espace ?
18.6.08
Le mystère Jacques Vergès
J’avais eu droit à un panorama passionnant sur le terrorisme dans les années 50 à 80, les guerres de décolonisation et le soutien de Vergès à ces causes. Comment le petit Jacques, fils d’un diplomate français et d’une institutrice vietnamienne, élevé à La Réunion, avait ressenti l’oppression coloniale dès son enfance. Comment, jeune avocat, il avait défendu de nombreux indépendantistes en Afrique du Nord. Ainsi, en 1956 en Algérie, il invente, pour le procès de Djamila Bouhired, la ‘défense de rupture’ – au lieu de ‘sympathiser’ avec les juges, représentants du pouvoir colonial, l’avocat utilise la provocation, se présente lui-même en ‘victime’ d’un tribunal injuste et utilise l’opinion internationale pour faire pression sur le gouvernement français, notamment via des manifestations de sympathie à l’égard de Bouhired, à Paris et en Europe.
Les années suivantes il va régulièrement défendre des mouvements indépendantistes, voire terroristes – les Palestiniens dans les années 60 ou Carlos à partir des années 70. Il disparaît de 1970 à 1978, des rumeurs circulent sur son engagement au côté des Khmers Rouges, dont il connaissait très bien certains dirigeants, ou sur une possible activité d’espionnage. Interrogé sur cette période, Vergès nie tout engagement avec les Khmers ou les Palestiniens, mais dit qu’il était avec des gens très discrets, et ne peut donc nous en dévoiler plus. A un autre moment du documentaire, il affirme que les Khmers Rouges n’ont pas voulu tous les massacres survenus au Cambodge, que ce sont les événements et les circonstances qui se sont enchaînés ainsi.
Ces petites phrases résument bien le personnage : mélange de mystère et de provocation, s’exprimant avec douceur mais soutenant des mouvements ultra-violents, il donne l’impression d’être un chat jouant avec sa proie. Avocat de la terreur, il va défendre des causes terroristes qui ont des fins indépendantistes, mais aussi tous ceux qui veulent déstabiliser la société occidentale, le modèle triomphant de la deuxième moitié du XXe siècle. Généreux et humaniste quand il soutient ses amis d’Algérie – revoyant d’anciens terroristes algériens, il leur dit qu’il n’aurait alors pas hésité à aller tirer lui-même sur le Général Massu (dirigeant la force d’occupation française) si l’un de ses clients avait été exécuté. Ambigu et mystérieux quand il évoque le procès Barbie, qu’il décrit presque comme une revanche personnelle, où lui l’Eurasien a appelé en renfort, face aux 39 avocats de la partie civile, deux avocats, l’un noir et l’autre arabe, face à cette assemblée bien-pensante, unanimement d’accord sur l’horreur des crimes pratiqués par le ‘raciste’ Klaus Barbie. Utilisant la scénographie et la théâtralité propre à tout procès, il va donc démontrer par de subtiles techniques de manipulation de l’opinion que Barbie n’est pas si raciste, puisqu’il est défendu par un asiatique, un noir et un arabe. Il va aussi utiliser le procès fait à la torture nazie pour dénoncer celle employée par la France en Algérie durant la guerre d’Indépendance. Cette démarche illustre bien le côté ambivalent du personnage – utilisant l’abjection d’une situation pour en dénoncer une autre, mais aussi pour manipuler les jurés, quelque chose comme ‘l’Etat français dénonce ici des méthodes qu’il a lui-même employées ailleurs’, façon ‘que ceux qui n’ont jamais fauté lui jettent la première pierre’, des méthodes de manipulation de l’opinion auxquelles Vergès excelle.
Tout accusé a droit à une défense. Mais pourquoi systématiquement défendre ceux qui sont accusés des crimes les plus extrêmes ? Est-ce devenu une spécialisation de fait, car son indéniable talent dans la défense de cas terroristes dans les années 50, 60 et 70, en aurait fait l’avocat le plus recherché des grosses ‘pointures’, les Carlos etc… Peut-être. Ou bien est-ce par sympathie, comme un moyen de s’investir personnellement dans ces causes, de leur faire une publicité supplémentaire ? Eventuellement. Ou est-ce parce que de défendre ces personnages unanimement rejetés lui apporte une grande publicité, ainsi que de confortables honoraires ? Ce documentaire en tout cas ne fait que rendre ces points plus troublants, les déclarations de Vergès ajoutant encore à la confusion. Il se serait lié avec des Soviétiques, et même avec un nazi suisse… Et quand on regarde la liste de ses clients, on y trouve un grand nombre de dictateurs africains, des terroristes arabes ou occidentaux, la Fraction Armée Rouge (RAF), le terroriste international Carlos, Slobodan Milosevic, Saddam Hussein… tous accusés de la mort d’un nombre considérable de personnes. On peut même se demander si Vergès, généreux avocat anti-colonialiste défendant avec talent ses frères opprimés d’Afrique du Nord dans les années 50, ne serait pas devenu lui aussi, à partir des années 60 une sorte de ‘terroriste’, en rupture avec l’Occident, tant ses clients représentent le rejet de la culture occidentale de l’époque. Cette époque où les pays d’Europe de l’Est, du Moyen et d’Extrême-Orient, d’Amérique Latine étaient, au pire, diabolisés, au mieux présentés comme des pays ‘sous-développés’, cette époque où le libéralisme à l’américaine représentait le but ultime d’épanouissement de l’homme. Vergès, l’avocat de la « terreur », ou l’avocat d’une société post-coloniale qui rejette la domination du monde par les Etats-Unis ?
‘Jacques Vergès, l’avocat de la terreur’ film de Barbet Schroeder (2007).
‘La justice est un jeu’, conférence de Jacques Vergès, Ecole des Mines de Nancy, 1997.
17.6.08
The Kenny Clarke & Francy Boland Big Band - Latin Kaleidoscope
Encore disponible chez l'excellent Orgyinrhythm (précipitez-vous !), cette galette est probablement le summum du raffinement latin jazz autour du duo fondateur d'un des plus somptueux big bands des sixties (Clarke à la batterie et Boland au piano) ; de l'élégance chaloupée, des arrangements au cordeau, et pour nous servir toute cette beauté tropicale, une pléiade de virtuoses : Sabu Martinez (le conguero mythique de Jazz Espanole et Afro Temple), Sahib Shihab, Gary Mc Farland, et plusieurs autres pointures. C'est vrai ce qui disent nos copains américains là dessous : Crepusculo y Aurora est une merveille ; et ce qu'ils ne disent pas c'est que Gilles Peterson a attiré l'attention des amateurs sur cet album rare en compilant le très swingant Un graso de Areia.
One of the great latin jazz lps of the 60s and featuring who else but Sabu Martinez.Latin Kaleidoscope is comprised of two suites, with the band swinging on well-written parts to a panoply of well-used percussion elements. Boland recruited drummers Kenny Clare, Al "Tootie" Heath" and Sabu Martinez to add their percussion talents. Gary McFarland’s six-part "Latin Kaleidoscope" is a joy to discover – much as it was to first hear his solo creations and offers much evidence of his gifts. Boland, who added his own touches to this suite, never takes a solo throughout and is occasionally heard on harpsichord; a sensitive touch to sensitively considered music. And excellent solos are taken by Sahib Shihab ("Duas Rosas"), Ronnie Scott ("Uma Fita de Tres Cores") and Aki Persson ("Othos Negros") Francy Boland’s "Cuban Fever" is like a musical postcard of Cuba: powerful, colorful, exciting, where the unexpected is approached at every corner. The innate skill of Boland’s craft is most apparent here. Like the great jazz arrangers, he’s a scenarist, a master painter. Here the brasses cover more of the thematic canvas. But it is often the reeds that take solo honors (a nice contrast) – with the exception of the beautiful finale, "Crepusculo y Aurora" that benefits by a resonant Benny Bailey trumpet solo (Clarke’s clever shifting patterns are much in evidence here too).
5.6.08
Erik Samakh - Au bord de l'eau
Sans le connaître, les Parisiens habitués du parc de la Villette ont déjà entendu il y a quelques années d'étranges sonorités diffuses dans certains jardins du parc ; c'était lui, Erik Samakh, artiste discret, comme son oeuvre, presque invisible. Il réalise notamment des installations sonores interactives avec des matériaux naturels ou électroniques (technologie minimale et écologique de capteurs et flûtes solaires) pour magnifier la vitalité des éléments : l'eau, le vent, la lumière, le scintillement des étoiles, le chant des grenouilles. Elles nous rendent sensibles à la beauté des grandes et petites émissions de la nature, ces sons qui interagissent avec notre imaginaire.
Si vous aimez les field recordings, le travail d'artistes de la nature tels que Andy Goldsworthy ou Gilles Clément, vous vous régalerez de la monographie que lui consacre l'Abbaye de Maubuisson et le Conseil Général du Val d'Oise. On y trouve un long entretien avec Colette Garraud, qui éclaire en profondeur le travail de l'artiste, une série de photos de ses installations ainsi qu'un CD regroupant 4 prises de son ambiantes.
Ci-dessus la pièce N°4, Les joueurs de flûte, enregistrée le 18 juin 2004, dans la forêt du Pays de Barr et du Bernstein ; où l'on peut entendre ces flûtes naturalistes, aux sons toujours assez brefs et qui ont des tonalités différentes, parce que chaque module, avec l'énergie autonome de son capteur solaire, souffle de l'air dans une flûte d'un modèle unique. Comme il y a une vingtaine de flûtes, le jeu d'harmoniques comporte des combinaisons étendues. La source d'énergie solaire introduit une modulation d'intensités suivant les rayonnements lumineux. Ces deux paramètres contribuent ensemble à un renouvellement sonore permanent, jusqu'au silence durant la nuit.
Erik Samakh's work is founded on a constant dialog between man and nature. Tuned in to its noises and sounds, colors, and various species, he proceeds like a surveyor. For some twentyfive years he has been capturing, recording, and restituting in museum spaces what he perceives as a veritable artistic material that he installs and diffuses in all places suited to discovery. The surrounding space, formerly devoted to the power of images thus becomes a «listening space», but just as readily a space of silence, and transforms our perceptive and perceptible approach to reality. Samakh also intervenes in the landscape and incites it to react by grafting different instruments of his own design onto it.
Erik Samakh is not so much an acoustician, but an artist of the present day, committed to offering experiences and sensations that go beyond the visible... Bernard Blistène
4.6.08
Jean Rollin - La Petite Ogresse
J'aime beaucoup (plus que ses films cheap) les fictions textuelles de Jean Rollin - cette capacité, comme chez Marcel Béalu, à faire affleurer le fantastique dans le banal. Car il suffit d'une rencontre... Celle d'un homme au bord du suicide et d'une petite fille venue de nulle part, qui pleure sur les marches d'un escalier parisien, pour que l'univers tout entier bascule. Qui est-ce personnage auquel son désintérêt pour la vie ouvre les portes d'un ailleurs peuplé d'ogres radieux, d'attachants nécrophages et de nains féroces ?
Jean Rollin parvient à exalter dans ses récits, avec des mots simples et sans détour, une certaine poésie du macabre. Je veux parler de sa prédilection pour les vampires, fantômes, ogres et autres monstres, qui sous sa plume s'animent dans des aventures malsaines et passionnantes.
La Petite Ogresse est un de ses meilleurs textes, qu'on dévore à belles dents, étonné à la fin d'avoir éprouvé si peu de dégoût pour la petite Alice au pays des horreurs.